La chasse aux limaces

Ne vous fiez pas à son air inoffensif, voire attendrissant. Ce bébé limace est une menace! Un ogre en culottes courtes. Pendant que j’étais partie, il a plu tous les jours, m’a-t-on dit. Depuis que je suis revenue, il pleut tous les jours, je peux le constater moi-même. De quoi faire prospérer la population des limaces et des escargots.

Les jardins potagers ont bien du mal à démarrer. D’abord à cause du froid, du manque de soleil, et puis ensuite à cause des ravages causés par les limaces. Particulièrement de très grosses limaces rouges dont le nom scientifique est Arion rufus. Une telle limace peut anéantir votre semis de courgettes ou de potirons, en dévorant en une seule nuit tous les bourgeons terminaux de vos jeunes plants. Les plantes poussent en effet par leur extrémité, et l’immense majorité des jeunes plantes ne survivent pas à la disparition de ce bourgeon: elles n’ont pas assez de réserves pour en fabriquer un autre. De ce bourgeon devait naître la tige et les feuilles qui auraient ensuite fabriqué par photosynthèse du sucre pour alimenter les racines. La graine avait des réserves pour assurer sa germination, mais elle a tout utilisé pour fabriquer et faire grandir un racine qui bientôt se ramifie pour aller chercher l’eau et les minéraux dans le sol, et cette première tige couronnée d’un bourgeon d’où doivent naître toutes les tiges et feuilles futures.

Ayant commencé le jardin en retard, et n’ayant pas beaucoup d’énergie en ce moment, je ne peux me résoudre à voir disparaître mes jeunes plantes. C’est déjà tard en saison, et recommencer les semis me ferait perdre encore deux bonnes semaines. Alors je vais à la chasse aux limaces.

Les armes pour une telle chasse sont assez simples: une lampe de poche puissante (ça c’est parce que je n’ai pas des yeux de chat), un gros bocal dont j’ai percé le couvercle de nombreux trous (ça c’est parce que je n’ai pas le cœur de les voir périr étouffées), et une longue pince (ça c’est parce que leur mucus est tellement gluant et collant que les toucher avec les doigts vous oblige à un récurage vigoureux après, sans assurance de résultat). Il faut y aller dès qu’il fait noir (mais en ce moment il fait jour jusqu’à 23h ici! Pas facile quand on a envie de dormir dès 20h.)

Le premier soir, j’ai sorti de ma serre 3 bocaux complets de grosses limaces rouges, que je suis allée vider l’un après l’autre le plus loin possible, dans une haie épaisse, où j’espère qu’elles trouveront suffisamment à manger et n’essaieront pas d’émigrer. J’ai aussi patrouillé autour de mon tipi à haricots d’Espagne qui sont justement en train de lever, et j’en ai trouvé aussi de quoi remplir plusieurs fois le bocal. Le lendemain il y en avait moins, le troisième jour encore moins, mais tout de même… assez pour détruire mes jeunes plants, alors la nuit prochaine j’y retourne… Jusqu’à ce que les plants soient assez développés pour ne pas risquer de mourir sous la dent d’une limace, même gigantesque.

La chasse aux limaces n’est certes pas aussi dangereuse que la chasse aux grands fauves, mais elle offre aussi quelques désagréments: attirés par la lumière de la lampe de poche, de nombreuses bestioles volantes viennent se coller sur ma figure et certaines semblent vouloir, pour une raison qui m’échappe, faire un plongeon dans mes yeux. Il y a des moustiques, aussi. Ceux-là je sais ce qu’ils me veulent.

La chasse aux limaces permet de voir, par ailleurs, un spectacle assez prodigieux: on peut voir passer des sortes de trains express qui traversent à toute vitesse l’espace devant nous, se glissant en bout de course dans un terrier qu’on n’aurait pas repéré, un terrier tout petit petit. Ce sont des vers de terre, tels que je ne les ai jamais vus avant. Quand on retourne une pelletée de terre en préparant le potager, il arrive souvent d’en découvrir, s’agitant au milieu de la terre émiettée: ils se tortillent alors aussi maladroitement qu’inefficacement, et semblent aussi dépourvus de cerveau qu’on peut l’être. C’est une toute autre chose lorsqu’on les découvre dans leur élément: la nuit! Ils sortent de leurs terriers et viennent ramper sur le sol, à une vitesse étonnante, tout à leur affaire… Ils viennent chercher des déchets végétaux et les ramener dans leurs terriers… Et oui, pas mal, pour une créature aussi «rudimentaire»!

Même si j’ai réussi à diminuer sensiblement la quantité de limaces à proximité immédiate de mes plants, il en reste des quantités impressionnantes que je croise sur mes pelouses et dans ma cour lorsque je me rends sur mon territoire de chasse. Et l’autre nuit, après avoir vidé mon troisième bocal et constaté à quel point il était lourd de grosses limaces musculeuses, je me suis dit que nous n’aurions aucun problème pour nous nourrir si nous mangions les limaces! Après tout, les Français mangent bien des escargots…

On essaie en haut lieu de nous convaincre de manger des grillons ou des criquets. Pourquoi pas des limaces? J’aimerais bien voir l’un de nos dirigeants essayer ça. Le mucus gluant de ces vigoureuses bestioles leur clouerait le bec pour un moment.