Pomme pomme pomme pomme…

Cette année je vais pouvoir manger une pomme «Belle de Boskoop» de mon jardin. Ce sera la première, bien que mon pommier ait été planté il y a environ 15 ans. Et ça n’a pas été simple pour obtenir cette unique pomme.

J’avais acheté deux petits pommiers, ce pommier Boskoop et une autre variété moins connue, une Reinette de Brive, encore appelée Sainte-Germaine. Pour ceux que ça intéresse, il paraît que l’on recense en France environ 1600 variétés de pommes et le pépiniériste le plus connu d’Alençon possède un verger où il maintient lui-même environ 400 variétés.

Quel est l’intérêt d’avoir plusieurs variétés de pommes dans son jardin? Il y a plusieurs raisons.

D’abord les pommes ont des goûts très différents selon les variétés, au point qu’on pourrait quasiment penser en les dégustant que ce sont des espèces différentes de fruits. Elles sont sucrées ou acidulées, farineuses ou croquantes, plus ou moins juteuses, plus ou moins parfumées, certaines sont bonnes à croquer et d’autres bien meilleures une fois cuites (et des pommes qui sont délicieuses en tartes ou en compotes sont parfois absolument immangeables crues). Et il y a des pommes qui servent à faire du cidre. Mais celles-là ne m’intéressent pas spécialement, car je n’en fais pas.

Ensuite les diverses variétés de pommes ne parviennent pas à maturité en même temps, et n’ont pas la même durée de conservation. Certaines variétés se conservent si mal qu’elles ne sont jamais vendues dans le commerce, et la seule façon d’en manger est d’en avoir dans son jardin. Ainsi la délicieuse «transparente blanche » est une pomme très précoce, mûre dès le mois de juillet. C’est une très grosse pomme jaune pâle, presque blanche, à la chair très parfumée, mais elle pourrit très rapidement et il faut la manger dès qu’elle est mûre. Je ne sais pas si elle est bonne une fois cuite car en juillet il n’y a pas d’autres fruits dans mon jardin (les framboises et les fraises ont donné au printemps et redonneront à l’automne ou en fin d’été, mes pruniers sont trop jeunes et ne donnent pas encore, et je n’ai eu qu’une seule pêche cette année — mes pêchers aussi sont jeunes – ) et mes pommes transparentes blanches me servent de dessert et je les mets même dans mes salades composées, mélangées avec carottes, laitue, tomates… Elles sont succulentes.

Une troisième raison de planter plusieurs variétés c’est que certaines variétés de pommes ne sont pas auto-fertiles. C’est même le cas le plus général. Ce que cela signifie, c’est que pour être fécondées et donner des pommes, les fleurs doivent recevoir le pollen d’autres variétés de pommiers. Bien sûr, les abeilles et bourdons qui butinent les fleurs de pommiers voyagent d’un jardin à l’autre et peuvent apporter du pollen d’un autre pommier situé plus loin, mais il est clair que si vous plantez diverses variétés qui se pollinisent bien les unes les autres dans un espace plus réduit, vous augmentez fortement les chances d’avoir une bonne pollinisation. Et donc beaucoup de pommes.

Si vous voulez assurer le coup (ce que j’ai fait), vous pouvez aussi planter un petit pommier ornemental comme le «Evereste» (oui, il y a bien un «e» à la fin, ce n’est pas une faute d’orthographe de ma part) qui est un excellent pollinisateur de toutes les variétés de pommes de table. De plus il donne de toutes petites pommes qui restent longtemps dans l’arbre, ce qui est assez joli. Et vous pouvez même les manger: amusant pour jouer à la dînette!

Revenons à ma «Belle de Boskoop». On la surnomme «la reine des tartes», (ce ne serait pas un compliment pour une femme, mais ça l’est pour une pomme). Mais en plus, elle est aussi délicieuse crue, si on aime, comme moi, les pommes qui ont du goût et pas les fruits insipides comme la «Golden delicious» (qui n’a de délicieux que le nom, et qui me rappelle inexorablement les repas à la cantine ou au restaurant universitaire)

J’étais donc très déçue de ne pas avoir de pommes dans mon pommier «Belle de Boskoop»! Et, à vrai dire, pas de fleurs (ceci expliquant cela).

J’avais décidé de conduire les deux petits pommiers «en cordon», c’est-à-dire de faire courir une seule branche horizontalement le long d’un support, espérant avoir ainsi des pommes à portée de main, et sans avoir un trop grand arbre, car mon jardin à l’époque était assez petit (c’était avant que je double sa surface en achetant du terrain à ma voisine).

Cependant au lieu de faire des fleurs, mes pommiers faisaient du bois: des grands rameaux très vigoureux qui partaient résolument à la conquête du ciel, et que je taillais (rageusement) chaque année, en pure perte.

Un pommier, en effet, fait des rameaux à bois, et des rameaux à fleurs, et s’il est utile d’avoir un peu des deux, n’avoir QUE des rameaux à bois signifie que vous n’aurez pas de pommes. Ce que je ne savais pas (c’est fou ce qu’on peut être ignorant, tout en ignorant qu’on l’est!), c’est qu’il existe plusieurs variétés, non seulement de pommiers, mais aussi de porte-greffes! En général les arbres fruitiers sont constitués de deux parties: un porte-greffe, qui est choisi pour constituer la partie souterraine de l’arbre, son système racinaire, et une variété qui va donner la partie aérienne, les branches, rameaux, et bien sûr les fleurs et les fruits. Ainsi, une même variété (par exemple la Belle de Boskoop) peut être greffée sur différents porte-greffes. Et, c’est là que c’est à la fois émerveillant et un peu rageant: j’avais acheté des arbres greffés sur un porte-greffe très vigoureux, fait pour donner un arbre «haute-tige», un grand arbre… Et donc j’avais beau tailler et tailler, toujours mon pommier redonnait des rameaux à bois! C’est mon gentil pépiniériste qui m’a expliqué le mystère.

Il n’y avait qu’une façon de réparer l’erreur: laisser faire la Nature! Laisser l’arbre pousser, monter, se développer, et une fois atteint un certain volume de branches, la réduction de la quantité de sève arrivant dans chacune des petites branches allait naturellement induire la floraison.

Bien sûr mon arbre a un drôle d’air car l’ayant taillé et retaillé pour en faire un cordon, quand j’ai laissé pousser c’est une multitude de branches qui se sont élevées vers le ciel et pas un tronc bien droit… Mais qu’importe: cette année je vais manger ma première Boskoop!

Et grâce à ce petit déboire, j’ai appris beaucoup de choses, que je ne savais pas. Je regarde les pommes d’une autre façon, à présent! Quant au deuxième pommier, j’espère ses premières pommes pour l’année prochaine. Au jardin, il faut être patient.