L’automne est aussi la saison des poires ! Si la Normandie est connue pour ses pommiers et son cidre, j’avoue que pour ce qui est de les manger en fruits frais j’ai une préférence pour les poires.
Une poire bien mûre est un fruit absolument délicieux. Elle est fondante et juteuse, avec cet équilibre parfait entre l’acidité et le sucre, et une panoplie de parfums subtils que les mots ne pourront jamais rendre. Peut-être en mangez-vous rarement, car une poire bien mûre est tendre, fragile, et se transporte mal. Aussi dans les grandes surfaces ne trouve-t-on que des poires pas mûres, en général . Il faut être patient et la laisser mûrir. Elle est bien sûr encore meilleure si elle est restée sur l’arbre le plus longtemps possible, avant d’être cueillie. Une poire est prête à être cueillie quand elle a elle-même fabriqué une petite zone de séparation dans son pédoncule, qui fait qu’au premier souffle de vent elle tombe… Mais si elle tombe, elle risque de s’abîmer, alors tout l’art de la cueillir à temps est d’aller tous les jours, voire plusieurs fois par jour, rendre visite à vos poiriers. Prenez une belle poire en main, tournez la légèrement sur elle-même, et si elle est prête, elle va se détacher proprement. Pas plus d’un quart de tour ! Si le pédoncule se tord sans rompre, laissez la reprendre sa position et revenez demain.
Ensuite, il faut encore patienter un peu. Elle a besoin de mûrir encore ! Elle sera prête quand le morceau de pédoncule qui reste attaché à la poire (car il s’est coupé plus haut, pas au ras du fruit) se détachera facilement quand vous le tournez doucement : la chair de la poire est devenue fondante, et il est temps de la manger.
Mais il y a un hic : parfois la poire a tendance à blettir. L’intérieur devient marron et trop mou, et la poire n’est pas bonne. Quand la poire a subi un choc, elle a plus de risque de blettir, et de plus certaines variétés de poires blettissent plus facilement et plus vite que d’autres. Ce genre de poire, vous ne les trouverez jamais dans le commerce.
Parfois lorsque j’ai cueilli une poire spécialement belle, dodue, je me régale d’avance à l’idée de la manger dès qu’elle sera mûre, et quand elle me semble prête, et passe le test du pédoncule qui se détache de la chair fondante, je la coupe avec avidité en deux, les yeux brillants de gourmandise, l’eau à la bouche, pour trouver l’intérieur qui a tourné au marron : elle a bletti ! Parfois j’arrive à en sauver une toute petite fraction, mais pas toujours. Et la merveilleuse poire s’en va nourrir mes poules. Quelle déception ! Je me mets à regretter (un peu) de ne pas l’avoir mangée plus tôt, sans doute ai-je raté l’instant idéal, mais il me faut parfois aussi me rendre à l’évidence : certaines poires blettissent avant d’avoir mûri.
Bien sûr, il y a une leçon de vie là-dedans. Il y en a toujours. J’ai souvent l’impression que je commence à peine ma vie, j’ai encore tellement de choses à apprendre, je ne suis pas prête, pas mûre, pour ceci ou cela. Je ne me sens pas capable de le faire. Pas encore.
En contemplant la poire que je pensais manger, je me demande parfois : « et si moi aussi je finissais par blettir avant d’avoir mûri ? » Ne vaut-il pas mieux risquer de manquer un peu de maturité mais y aller quand même, plutôt que d’avoir attendu en vain « l’instant idéal » ?