«Ô soleil, toi sans qui….
…les choses ne seraient que ce qu’elles sont!»
S’il y a un moment dans l’année où cette citation me trotte dans la tête, c’est bien l’automne. Et spécialement l’automne dans ma contrée d’élection, cette riante et verte Normandie.
Je n’écoute ni la télé ni la radio alors j’ignore si on vous bassine encore avec la sécheresse, mais j’ose espérer que non, car ici sur mon terrain transformé en éponge, on patauge dans la gadoue, une boue glissante et visqueuse qui me donne envie d’être une marmotte et de ne me réveiller qu’au printemps prochain.
Je compatis avec mes pauvres animaux, poules et moutons, et me promets de leur construire un abri plus grand et plus sûr contre les aléas climatiques. Car cette pluie pénètre partout, même dans mon abri de jardin tout-nouveau-tout-beau où j’ai stocké mes outils… la dalle en est trempée, l’eau s’infiltre par le dessous, par les côtés, pour un peu je pourrais croire qu’elle passe à travers les planches ! Même à un mètre du sol mes objets en sont éclaboussés.
Alors je me réfugie dans la maison, au coin du feu, et je lis (ou relis) Alphonse Daudet. La garrigue, les cigales, l’odeur du thym et du romarin, le moulin et «sa porte ouverte au bon soleil du midi» et cette lumière qui inonde tout… Qu’est-ce que je suis donc venue faire en Normandie? Un contemporain, ami du grand Alphonse (et peut-être aussi, dit-on, l’un de ses «nègres» à qui on devrait l’essentiel des Lettres de mon Moulin?), Paul Arène, met dans la bouche d’un de ses personnages les propos suivants: «Le Bon Dieu? Le voilà!», en montrant le soleil. Comme je peux le comprendre!
Quand le ciel est bouché, cachant le soleil, toutes les couleurs de la terre s’éteignent. Tout devient gris, d’un gris insipide qui nous tire vers le bas. Aucune énergie. Aucun entrain. Tout nous semble fade et sans intérêt. Sans le soleil pour les illuminer, les objets, les plantes, les animaux, sont ternes, et toute leur beauté s’efface. Ô soleil! Sans toi, comme tout est triste…
Cependant, je me souviens aussi de ce que j’ai ressenti lorsque je voyageais dans l’Ouest américain, parcourant des étendues sans fin où pas un arbre ne pousse, sauf en étroites ceintures au bord de rares ruisseaux. L’odeur des sagebrush parfumait l’air aride, et je ressentais une grande sérénité sous le ciel immense, mais… j’avais aussi développé une dévotion pour l’eau. Un pays où il n’y a pas d’eau n’est pas vraiment habitable. On peut se chauffer dans un pays trop froid et se rafraîchir dans un pays trop chaud, mais on ne peut créer l’eau à partir du néant, et sans eau, on ne peut pas vivre.
Alors voilà, il nous faut les deux: le soleil ET la pluie. Et je sais bien que s’il faut choisir entre un pays avec trop de pluie et un pays avec pas de pluie du tout, le choix est facile à faire. On ne vit pas dans un désert. On y passe.
Toutes ces pluies qui m’irritent aujourd’hui sont la raison pour laquelle je serai comblée dans quelques semaines: les prés seront verts et les talus émaillés de fleurs sauvages, l’herbe poussera dru pour le bonheur de mes moutons, mon jardin me donnera une nourriture saine et abondante, et quand les pruniers, les poiriers et les pommiers fleuriront, en un feu d’artifice blanc et rose, je me rappellerai pourquoi j’ai choisi de venir vivre ici. En attendant, il faut prendre son mal en patience, et supporter la succession de ces jours monotones où le ciel n’est pas rempli de nuages mais d’un seul nuage, homogène, d’un gris de plomb, où il n’y a rien à voir.
Il reste toutefois deux moments dans la journée où, malgré tout, un peu de magie se glisse jusqu’à moi pour m’offrir un instant d’émerveillement. Entre le jour et la nuit, entre chien et loup, malgré la brume, malgré le grand nuage, le ciel se colore d’un bleu magnifique. C’est «l’heure bleue», qui ne dure en fait, que quelques minutes, une dizaine tout au plus. Peu importe, car pendant ces minutes, d’un seul coup, je me rappelle que la couleur existe. Derrière ce ciel gris et plombé, la beauté existe toujours. Le bleu du ciel infuse délicatement à travers la couche nuageuse, et tout, tout, devient bleu. N’est-ce pas un joli cadeau?