Les animaux ont-ils une âme ? Vaste sujet ! En tout cas les animaux sont capables de manifester parfois des comportements que l’on qualifierait d’empathiques ou d’altruistes, si on les observait chez des humains.
Ma petite poule rousse, que je décrivais comme «en fin de vie» dans un post précédent, a fini effectivement par mourir.
Avant de mourir cependant, et malgré son état passablement délabré, elle avait manifesté bruyamment son désir de continuer à vivre, lorsqu’une fouine s’était introduite dans leur enclos, une nuit où, par fatigue excessive, j’avais négligé d’aller les enfermer dans leurs clapiers.
Cette nuit-là, après m’être endormie très tôt, extrêmement fatiguée, j’ai été réveillée par un horrible rêve de guerre et de carnage. Il m’a fallu un moment pour reprendre pied dans la réalité, essayer de « digérer » le rêve et ses visions de corps démantibulés. C’est alors que j’ai entendu des cris, venant du poulailler. Des cris de détresse, pas très identifiables, mais qui m’ont poussée à me lever et me rendre sur place le plus vite possible, flanquée de ma chienne Misty qui aboyait furieusement.
J’ai trouvé la petite poule rousse en totale panique, poussant des cris déchirants, et essayant sans succès de sortir de l’enclos à travers le grillage (du côté opposé à la porte restée ouverte). La grande poule blanche, muette, semblait en état de choc, pas loin d’elle. Je les ai prises et remises dans leur clapier, non sans quelques paroles que je voulais rassurantes. Puis je suis partie à la recherche des deux autres, que j’ai trouvées gisant sur le sol pas loin, une plaie sanguinolente à la gorge, mortes.
Inutile de décrire le sentiment de culpabilité que j’ai ressenti, pour ne pas avoir eu le courage, la veille, d’aller les mettre à l’abri. J’ai compris que contrairement à ce que je pensais, je ne pouvais pas prendre le risque de tels incidents. Je suis responsable de mes poules, et je leur dois protection. Ne pas le faire m’a plongée dans une grande tristesse et des remords aussi pénibles qu’inutiles.
La petite poule rousse a passé deux jours dans un grand état de stress, essayant d’aller dormir ailleurs que dans les clapiers (la porte en étant restée ouverte, la fouine s’y était introduite et en avait extrait une poule après l’autre, dans l’obscurité totale). Je devais la trouver, la prendre doucement dans les bras et aller la porter dans le clapier, toujours lui parlant pour la rassurer, et fermant ensuite soigneusement la porte. Le troisième jour, elle avait retrouvé plus de sérénité et de confiance, et semblait avoir oublié l’incident.
Mais un lien spécial s’était créé entre les deux survivantes. La blanche s’est mise à se comporter envers la rousse comme elle le ferait envers un poussin. Elle la prenait en charge, grattant le sol vigoureusement pour elle puis se reculant en gloussant de cette façon très particulière, que j’ai déjà entendue non seulement chez une poule qui avait des poussins, mais aussi chez un coq qui appelait ainsi les poules chaque fois qu’il trouvait quelque chose à manger.
Les deux poules étaient toujours ensemble, et au fur et à mesure qu’elle perdait ses forces, la rousse se collait à sa compagne, mettant parfois sa tête sous l’aile de la blanche, qui restait immobile et la «couvait», en quelque sorte.
La rousse a passé sa dernière journée à agoniser doucement dans le clapier, et la blanche ne l’a pas quittée. De la journée. J’en avais, je dois l’avouer, les larmes aux yeux. Je ne me sentais pas capable d’abréger cette agonie, et d’ailleurs, je ne crois pas qu’il fallait le faire. La rousse ne semblait pas souffrir, elle s’éteignait, simplement, perdant peu à peu ses forces. Et la blanche restait près d’elle. Combien d’humains savent-ils accompagner ainsi les mourants?
Lorsqu’il m’est arrivé de le faire, pour mon compagnon, ou pour un ami, les infirmières et aide-soignantes de l’hôpital m’avaient dit à quel point c’était rare, et combien les gens en fin de vie se retrouvent seuls, désertés par leurs proches. «La plupart meurent seuls», me disaient -elles.
Ma petite poule rousse n’est pas morte seule. La blanche est restée avec elle jusqu’au bout.
Comment voulez-vous après ça que je ne pense pas que les poules, aussi, ont une âme?