La Terre Promise

Il y a peu je vous avais fait part du dilemme dans lequel je me trouvais face à l’attitude belliqueuse de mes deux béliers. Comme je dois bientôt m’absenter, trouver une solution pour éviter qu’ils ne s’entretuent devenait de plus en plus urgent.


J’ai fini par lancer un large appel à pratiquement tous mes contacts par courriel, et même mis une annonce dans «leboncoin», journal de petites annonces en ligne…

Le premier appel que j’ai reçu m’a mise mal à l’aise. La personne semblait pressée d’avoir un mouton pour remplacer un chevreau qu’il avait pris mais qui «mangeait sa haie». Avec environ 500m2 de terrain, entouré d’autres maisons dans un environnement plutôt urbain (autant que peut l’être Alençon), il n’écoutait pas ce que je lui disais sur le fait que les moutons aussi mangent les haies et écorcent les arbres, et qu’un mouton tout seul ne serait pas vraiment heureux. Je me demandais ce qu’il comptait faire du chevreau une fois que je lui donnerais un mouton… Et ce qu’il ferait de mon mouton quand il finirait par réaliser que le mouton mangeait lui aussi sa haie. Le manger en barbecue?

Je voulais aller voir son terrain pour me rendre compte sur place et lui ai proposé de le faire le lendemain matin. Mais dans le courant de l’après-midi il m’a envoyé un message disant qu’il avait trouvé une brebis. Pas une petite femelle Ouessant mais une «rouge de l’Ouest». Renseignements pris, il s’agit d’une des plus grande races de mouton à viande, la femelle adulte fait 90 kg (contre moins de 20kg pour une Ouessant). Je lui ai fait remarquer ce fait troublant vu la taille de son terrain, et il m’a répondu qu’elle était jeune et qu’il avait de la place! «Elle est jeune»! Oui mais ensuite? Je croyais rêver devant tant de bêtise. Et je réalisais que JAMAIS je ne donnerais un de mes béliers avant d’être sûre, absolument sûre, que les personnes qui le prendraient étaient dignes de confiance. Bien sûr je dois en donner un, mais pas à n’importe qui. Pas à n’importe quelle condition. C’est pour leur propre bien-être que je veux les séparer, pas pour m’en débarrasser. Pas comme ce gars qui va se débarrasser sans vergogne du chevreau qui mange sa haie, et puis, sans aucun doute, de sa brebis de 90 kg losrqu’il réalisera qu’elle a bouffé jusqu’au dernier brin d’herbe de son minuscule terrain qu’elle aura transformé en bourbier. Je me suis dit que j’allais recevoir d’autres appels d’irresponsables dans son genre et j’étais assez découragée.

Et alors le miracle s’est produit. Un texto d’une personne que je connais déjà, amie d’une de mes amies. Elle est venue dans l’après-midi avec son mari. Elle a craqué pour Ramsès, lui pour Moïse. Il a eu le dernier mot. Et dès la fin de l’après-midi je leur ai amené la bête. J’ai conduit Moïse jusqu’à leur terrain, et en traversant leur maison (c’était drôle de voir ce petit mouton marcher sur un carrelage impeccable…) nous avons ensuite débouché sur leur jardin d’agrément, et continuant notre chemin, nous sommes entrés dans une vaste prairie de 2000 mètres carrés.

Moïse m’avait suivie docilement, marchant à la longe derrière moi, un peu inquiet mais rassuré par mes encouragements, ma voix, qu’il connaît si bien. Mais une fois entré dans la magnifique pâture, il m’a dépassée et s’est avancé tout seul, intrigué par la vue des deux boucs -castrés – qui y résident déjà. Si Moïse était fort désireux de faire leur connaissance, eux en revanche ont tellement eu peur de ma petite boule de laine de 20kg qu’ils se sont réfugiés dans un arbre (les chèvres grimpent aux arbres facilement, pas les moutons). Voilà mon petit Moïse transformé en caïd local, ça va le changer!

Ils ne font pas partie de la même espèce donc il n’y aura pas de rivalité sexuelle, et ils ont tellement de place qu’ils ne devraient pas entrer en conflit territorial. De plus, il y a plus d’herbe qu’ils ne peuvent en manger. Pour Moïse, c’est quasiment la terre promise, où, à défaut de lait et de miel, il trouvera de l’herbe fraîche à profusion, et de la place pour gambader.

La nuit tombait, je me suis décidée à partir, sachant que tout était pour le mieux, et que si cela ne se passait pas bien les gens me préviendraient et je pourrais revenir le chercher. Mais je ne vois pas comment cela pourrait mal tourner.

Ce n’est que lorsque je me suis retournée pour partir que Moïse est revenu vers la barrière en bêlant très fort… Ça m’a évidemment touchée et je me suis dépêchée de lui dire au revoir et de m’en aller. Je ne savais pas, avant d’avoir Moïse et Ramsès, que les moutons savent très bien reconnaître les humains qui s’occupent d’eux, et qu’ils sont attachés à leur «berger».

Je sais au fond de moi que Moïse sera mieux dans cette immense pâture que chez moi. C’est pourquoi je ne peux être qu’heureuse pour lui. Pourquoi alors hier en arrivant chez moi ai-je senti une étrange boule me serrer la gorge? Se pourrait-il que dire au revoir, même à un mouton, même quand on sait qu’il est plus heureux là où il est, soit plus difficile qu’il n’y paraît?