Aujourd’hui, il faisait beau, alors je suis sortie travailler au jardin. Et pendant que je m’affairais, profitant de la douceur de l’air, j’ai entendu résonner le clairon. Et je me suis rappelée: aujourd’hui, c’est le 11 novembre. L’armistice de la «Grande Guerre».
Depuis que j’habite ici, chaque 11 novembre, et chaque 8 mai, une cérémonie se déroule au monument aux morts de la commune. En général les enfants de l’école sont invités à y participer. Les miens n’y sont jamais allés. J’ai un vieux fond antimilitariste que est toujours resté vivant. Cependant si je me trouvais à passer devant le monument aux morts dans les jours qui suivent, je ne pouvais manquer de remarquer une gerbe de fleurs, un drapeau… Mais jusqu’à aujourd’hui jamais encore le son de la cérémonie n’avait atteint mon jardin.
Donc, les clairons. Et puis, un peu plus tard, la Marseillaise, virilement chantée à tue-tête. Et puis les cloches, récemment réparées, de notre église, se sont mises à sonner. Et puis, en même temps que les cloches, qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter, à nouveau les clairons.
C’était tellement long, et tellement exubérant, qu’on aurait pu croire qu’on se trouvait à la fin de la guerre.
On nous dit qu’il faut célébrer le 11 novembre et le 8 mai pour que les jeunes n’oublient pas… Par «devoir de mémoire». Mais qu’est-ce donc qu’ils ne doivent pas oublier? Que la guerre est une horreur indicible, ou que la France est un grand pays victorieux?
Car enfin, que célèbre-t-on le 11 novembre? La fin de la guerre? Ou la victoire de la France?
Nous avons deux jours fériés en rapport avec la guerre en France: le 11 novembre, qui célèbre l’Armistice du 11 novembre 1918, et le 8 mai, qui célèbre celui du 8 mai 1945. Deux guerres que la France a «gagnées». Il n’y a pas de commémoration pour la fin de la guerre de 1870, ni pour le Cessez-le-Feu de la guerre d’Algérie…
De nombreuses traces du passé victorieux de la France subsistent dans les noms de nos places et de nos rues, beaucoup datant de l’époque napoléonienne. Il y a à Paris une gare «d’Austerlitz». Nous avons une place des «Pyramides». Un pont «d’Iéna». Une avenue «d’Eylau». Une avenue de «Friedland». Une avenue de «Wagram». Toutes de célèbres batailles que notre empereur Napoléon a remportées.
Les Anglais, eux, ont «Waterloo station», et «Trafalgar square».
Leurs victoires sont nos défaites.
Je connaissais quelqu’un qui avait, lui, marqué sur son agenda la date du Cessez-le Feu de la guerre d’Algérie. Il n’était pas Algérien pourtant, mais Français.
Envoyé à l’âge de 21 ans se battre pour une cause qui ne le concernait pas, pour les deux ans que durait à l’époque le service militaire. Les Français qui se sont battus en Algérie étaient pour l’immense majorité des «appelés», des jeunes (imaginez ça maintenant, ils avaient 20 ans, 21 ans… des enfants!) arrachés à leurs familles, à leurs amis, à leurs fiancées, pour aller se battre en dehors du territoire français… mais, oui, bien sûr, à cette époque, «l’Algérie c’était la France».
Quand ils se sont embarqués sur le bateau, à Marseille, il ont vu embarquer avec eux des dizaines de cercueils. Pour ramener les corps de ceux qui allaient y rester.
A l’arrivée à Alger ces jeunes hommes, pas encore aguerris, ont dû rester debout en plein soleil pendant des heures… régulièrement il y en avait un qui tournait de l’œil et s’effondrait sur le sol. Et après… après il vaut mieux ne pas en parler ici. Mon ami a survécu, mais il n’a jamais pu oublier.
Il est resté un homme marqué à jamais par les horreurs dont il a été témoin (et qui ont été commises par les deux côtés belligérants, que cela soit clair). Un homme qui gémissait parfois la nuit dans son sommeil parce qu’il se retrouvait, en rêve, de retour en Algérie.
Pour lui, le Cessez-le-Feu signifiait la fin de l’horreur, le retour à la paix, à la «vie civile». Il n’en avait rien à faire que la France ait «perdu». Cette guerre n’était pas la sienne.
C’était le 19 mars 1962. La fin de la guerre en Algérie. Pourquoi donc ne célèbre-t-on pas ce jour?